m² vaincus par le QI
Les tendances démographiques, sociales et économiques influencent le besoin de surfaces et l’utilisation de l’espace. Les surfaces d’habitat et les zones à bâtir sont toutefois limitées. La question de savoir où et comment les nouvelles surfaces habitables devront être construites demande donc une nouvelle façon de penser, des planifications sur le long terme et des solutions intelligentes.
Le terme «espace» donne déjà matière à philosopher. Nous parlons de «chambre à coucher», mais «d’espace de rangement». Nous associons les «espaces de couchage» aux cabanes ou aux casernes. Un «espace» a-t-il moins de valeur qu’une «chambre»? Les architectes donnent une réponse claire: ils se sentent obligés de réfléchir à l’espace. Ils veulent avant tout créer, structurer et organiser des espaces – dont résultent ensuite le nombre de pièces et leur volume.
La surface – un bien limité
Pour les locataires lambda, ces subtilités linguistiques ne sont pas importantes. Le nombre de pièces et la surface mesurée en mètres carrés sont les principales unités de mesure permettant de choisir un appartement ou une maison.
Malheureusement, la surface au sol n’est pas un bien seulement rare, mais aussi limité. La superficie de la Suisse est de 41 285 kilomètres carrés. Comme quelque 70 pour cent du territoire national comprend des montagnes, des lacs, des forêts et des exploitations agricoles, la surface allouée à l’urbanisation s’élève à 30 pour cent, dont la majeure partie se situe sur le Plateau, entre le Jura et les Alpes. Selon des données de l’Office fédéral de la statistique (OFS), 7,5 pour cent de la surface totale de la Suisse étaient peuplés en 2009. En 1985, la part s’élevait encore à 6,0 pour cent.
Comme on ne peut pas augmenter la surface au sol, une utilisation mesurée est requise. «La Confédération, les cantons et les communes veillent à une utilisation mesurée du sol et à la séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire. Ils coordonnent celles de leurs activités qui ont des effets sur l’organisation du territoire et ils s’emploient à réaliser une occupation du territoire propre à garantir un développement harmonieux de l’ensemble du pays.» Ce sont les termes de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT). Les citoyens suisses y ont apporté leur soutien. Le 3 mars 2013, 62,9 pour cent de la population ont accepté la première révision de la loi (LAT I).
Modifications des zones constructibles
L’Association suisse des propriétaires fonciers (APF) résume comme suit les principales modifications de la LAT I: les réserves de zones à bâtir sont limitées aux besoins prévisibles des 15 prochaines années. Les communes qui possèdent trop de zones à bâtir doivent les réduire. Les cantons doivent prélever sur les terrains transformés en zone à bâtir une taxe sur la plus-value d’au moins 20 pour cent. Ces taxes perçues doivent notamment permettre de dédommager les propriétaires du déclassement de leur terrain.
La mise en œuvre de la LAT I est basée sur des plans directeurs élaborés par les cantons et devant être soumis pour approbation à la Confédération. Fin mars 2018, onze plans directeurs cantonaux ont été approuvés, notamment ceux des cantons d’Aarau, de Berne, de Lucerne et de Zurich. Le canton de Zoug table sur une approbation du plan directeur par la Confédération pour fin 2018.
La surface totale des zones à bâtir en Suisse n’a pas beaucoup augmenté ces dernières années.
La surface totale des zones à bâtir stagne
Contrairement à une idée largement répandue, la surface totale des zones à bâtir en Suisse n’a pas beaucoup augmenté ces dernières années. L’augmentation de 228’619 à 232’038 hectares entre 2012 et 2017 correspond à 1,5 pour cent conformément à la Statistique suisse des zones à bâtir 2017 de l’Office fédéral du développement territorial (ARE). Durant la même période, les surfaces des cinq affectations principales (zones d’habitation, zones d’activités économiques, zones mixtes, zones centrales et zones affectées à des besoins publics) sont même restées constantes, et cela malgré le fait que le nombre de personnes habitant dans les zones à bâtir ait augmenté de 7,9 pour cent à 8 millions. Par conséquent, la surface moyenne des zones à bâtir par habitant a baissé de 309 à 291 mètres carrés.
Selon la base de calcul utilisée, entre 11 et 17 pour cent des zones à bâtir ne sont pas construites en Suisse. Dans l’hypothèse où ces zones à bâtir seraient utilisées avec les mêmes densités qu’actuellement, il y aurait encore de l’espace pour 1,0 à 1,7 million d’habitants supplémentaires.
En considérant les données statistiques moyennes, la mise à disposition de surfaces d’habitation à la population suisse n’est pas un problème. Dans la pratique toutefois, l’offre et la demande divergent considérablement dans certaines régions. C’est ici que réside le principal défi pour les pouvoirs publics et les acteurs des secteurs de la construction et de l’immobilier.
Impact de la demande
Le facteur principal est la croissance de la population. Ces dernières années, elle a surtout été influencée par l’immigration. L’immigration nette annuelle recule certes depuis 2013. Selon les statistiques du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), le solde migratoire de la population résidante permanente étrangère a néanmoins encore atteint 51’400 personnes en 2017.
La différenciation des zones à bâtir par affectation introduite il y a près de 100 ans a entraîné une occupation des espaces et une utilisation des surfaces. Les zones affectées à des activités industrielles et commerciales ont été strictement séparées des zones d’habitation. Les zones d’activités et d’habitation ont été séparées sur le plan géographique. La distance a été comblée par un développement important de l’infrastructure de transport. De nouveaux réseaux express régionaux et de nouvelles liaisons autoroutières ont réduit les temps de trajet et augmenté l’attractivité des zones d’habitation très éloignées des lieux de travail. Les prix relativement bas des terrains en bordure des agglomérations ont rendu les maisons individuelles et mitoyennes abordables à un large cercle de personnes actives. Posséder une maison individuelle «à la campagne» est devenu l’alternative abordable à la location d’un appartement en ville.
Parallèlement à la croissance de la demande de logements résidentiels pour utilisation propre, l’essor de l’immobilier, en tant que catégorie de placement, a contribué à la hausse du besoin de surfaces. En raison du manque d’alternatives de placement offrant de bons rendements, de plus en plus d’investisseurs, attirés par les taux d’intérêt bas, ont afflué sur le marché du logement – «à tout prix», comme l’a écrit la «NZZ» le 20 juillet 2017. Nombre de ces appartements ont été construits là où du terrain constructible était disponible et non là où se trouvait la demande. Les chiffres confirment ces dires. L’immigration nette susmentionnée de 51’400 personnes en 2017 entraîne, pour une taille de ménage moyenne de 2 à 2,5 personnes, un besoin de près de 23’000 logements. Dans la réalité, plus du double de logements ont été construits en 2017. Quoi qu’il en soit, l’Office fédéral du logement (OFL) lève timidement l’état d’alerte: «Les permis de construire révélaient récemment une tendance baissière, ce qui traduit une réaction des investisseurs au nombre croissant de logements vacants», rapporte la publication «Aperçu du marché du logement» de février 2018.
Mauvaise allocation des surfaces
Les évolutions sociales influencent particulièrement le besoin de surfaces. Par exemple, la part de la population vivant seule augmente. Même si les personnes seules occupent surtout des logements plus petits, elles utilisent probablement, en tant que seul occupant d’un 1 pièce ou d’un 2 pièces, une surface d’habitation en moyenne supérieure à celle d’un membre d’un ménage composé de trois ou quatre personnes habitant dans un logement plus grand. Par ailleurs, la disparité entre les loyers proposés sur le marché et les loyers existants (cf. graphique «Ecart croissant») a une influence directe. En raison des loyers existants relativement bon marché, les personnes seules ou les couples ne sont pas incités financièrement à quitter leur logement qui est trop grand. Comme les loyers proposés sur le marché sont essentiellement plus élevés, changer de logement constituerait une mauvaise opération. Il y a sans aucun doute un problème d’allocation ici.
La densification est à l’ordre du jour
Le fait qu’un accroissement des surfaces d’habitation n’entraîne pas automatiquement un mitage plus important souligne la tendance à la densification. «Les nouveaux espaces peuvent aussi naître d’espaces existants», souligne François Bernath, notamment là où des immeubles plus anciens ne sont plus nécessaires en raison de leurs affectations, où un immeuble présente une réserve d’utilisation plus importante ou où l’organisation des espaces n’est plus actuelle. «Les endroits où l’on doit intervenir sur la structure existante et où l’on peut élaborer des solutions pour l’avenir sont particulièrement intéressants.»
De tels développements devraient être encouragés, ou du moins facilités, par le législateur et les pouvoirs publics. D’après l’expérience de François Bernath, une meilleure utilisation des surfaces est possible si plusieurs affectations sont permises. Par exemple, les plans de zones devraient permettre d’associer des zones d’habitation et d’activités. «Grâce au développement de la numérisation, on travaillera de plus en plus à domicile; et inversement, les espaces de bureaux seront de plus en plus confortables. C’est pourquoi nous devons développer les solutions de construction de demain sur cette base. Une séparation stricte entre zones d’activités économiques et d’habitation n’est plus d’actualité.» Il en va de même pour la distinction entre des zones spécifiques pour les hôtels ou logements qui n’a plus aucun sens avec les nouveaux modèles commerciaux tels qu’Airbnb ou WeLive.
«Pour une entreprise comme Alfred Müller AG, active dans la conception et la commercialisation d'immeubles résidentiels et commerciaux, un bon raccordement du site aux transports publics est d'une importance centrale.»
Le développement d’immeubles existants présente un énorme potentiel de densification. Une étude de l’institut suisse de l’économie immobilière publiée en 2012 a révélé que le développement de bâtiments existants à Zurich permettrait à lui seul de créer des logements pour 36’000 personnes aux alentours des grandes stations de RER. Pour ce faire néanmoins, il faudrait changer les priorités idéologiques. «Il est déjà étonnant que, dans le cadre des transformations urbaines, nous parlions aujourd’hui uniquement de qualité architecturale, mais jamais du critère démographique essentiel de la quantité», fait remarquer Thomas Held, ancien directeur d’Avenir Suisse, dans un entretien avec la «NZZ» le 29 novembre 2014.
François Bernath s’exprime aussi clairement: «Avec la loi sur l’aménagement du territoire, le législateur a créé un outil qui devrait freiner la poursuite du mitage et permettre une densification vers l’intérieur. Aujourd’hui, les villes sont notamment dans l’obligation d’adapter et de cibler leurs outils de planification de manière à permettre la densification.»
«Une séparation stricte entre zones d’activités économiques et d’habitation n’est plus d’actualité.»
Monsieur Bernath, la société Alfred Müller AG veut développer, rénover et créer des espaces. Où trouve-t-on généralement les espaces en Suisse?
Il n’y a plus beaucoup de «prés verts» à urbaniser, mais de nouveaux espaces peuvent aussi naître là où des espaces existent déjà. Là où des immeubles plus anciens ne sont plus nécessaires en raison de leurs affectations, où un immeuble présente une réserve d’utilisation élevée ou où l’organisation des espaces n’est plus actuelle.
Il existe encore de nombreux endroits où créer de nouveaux espaces en Suisse; les endroits où l’on doit intervenir sur la structure existante et où l’on peut élaborer des solutions pour l’avenir sont particulièrement intéressants.
Quel est le meilleur endroit pour construire de nouveaux logements? Selon quels critères Alfred Müller AG achète du terrain à bâtir?
Nous nous intéressons aux sites qui n’ont pas connu de hausses de prix excessives ces dernières années, qui affichent un faible taux de vacances général et qui présentent un potentiel d’espace d’habitation supplémentaire.
Les terrains et les immeubles existants que nous acquérons à des fins de nouvelle construction ou de nouveau positionnement doivent, si possible, être bien desservis et se trouver à proximité des principales infrastructures, telles que magasins et écoles.
Les investisseurs et les entreprises de construction sont critiqués parce qu’ils contribuent à miter le paysage. Comment réagissez-vous à de tels reproches?
Ces dernières décennies, le tapis de constructions s’est beaucoup étendu. Il y a eu beaucoup de constructions, car le besoin en surfaces d’habitation et la population en général ont connu une forte croissance. En effet, force est de constater que la croissance n’a pas été entièrement coordonnée.
Toutefois, avec la révision de la loi sur l’aménagement du territoire, le législateur a créé un outil qui devrait freiner la poursuite du mitage et permettre une densification vers l’intérieur. Aujourd’hui, les villes sont notamment dans l’obligation d’adapter et de cibler leurs outils de planification de manière à permettre la densification.
Comment le législateur et les pouvoirs publics pourraient-ils contribuer à une meilleure utilisation des surfaces?
Une meilleure utilisation des surfaces est possible si plusieurs utilisations sont permises. Par exemple, les plans de zones devraient permettre d’associer des zones d’habitation et d’activités afin de permettre une plus grande mixité des utilisations.
Grâce au développement de la numérisation, on travaillera de plus en plus à domicile; par ailleurs, les espaces de bureaux se transformeront de plus en plus en espaces de vie. Nous devons axer les solutions de construction de demain sur de telles évolutions. Une séparation claire entre zones d’activités économiques et d’habitation n’est plus d’actualité.
Selon quels critères fixez-vous les surfaces, le nombre de pièces et les plans des logements des nouvelles constructions? Comment ont évolué ces critères au cours de ces dernières années?
Nous déterminons le nombre de pièces en fonction de la demande. Les surfaces sont plus ou moins conçues en fonction du prix que les personnes sont prêtes à payer à l’endroit de la construction.
Nous constatons que la demande de grands appartements a diminué ces dernières années. Les personnes vivent plus souvent seules, en couple sans enfant ou comme père ou mère célibataire.
Aujourd’hui, les locataires attendent aussi que les petits logements leur donnent une sensation d’espace généreux. Comment y parvenir?
Nous concevons nos logements de manière ouverte et transparente. Nous proposons aussi des espaces de rangement ou des armoires encastrées et meublons les cuisines et salles de bains de manière intelligente. Les occupants n’ont ainsi pas besoin de grands meubles de rangement et gagnent de l’espace.
Nous attachons aussi de l’importance à l’utilisation de matériaux de qualité. Nos clients apprécient que nous créions des espaces dans lesquels ils se sentent bien dès le premier jour.
Quelles expériences Alfred Müller AG a-t-elle en matière de projets de densification? A quoi ressemblent les solutions intelligentes?
A Zoug, Alfred Müller AG a réalisé un complexe assez dense à Feldhof et à Feldpark qui a créé une bonne densité urbaine au moyen de bâtiments de hauteurs différentes; à Berthoud, nous avons créé dans le quartier de Suttergut un bâtiment résidentiel qui a donné naissance à des espaces d’habitation très attrayants grâce à une configuration intelligente des appartements et à une construction compacte. Ces deux exemples ont été réalisés sur d’anciens sites industriels.
Lors de la construction d’une surface, une configuration urbaine de qualité et une intégration mûrement réfléchie aux infrastructures existantes sont particulièrement importantes. En cas de repositionnements ou de changement d’affectation de bâtiments existants, des approches créatives ne présentant pas d’obstacles administratifs importants sont requises afin de pouvoir garantir la pérennité sur le plan économique.
Quel futur projet de densification vous réjouit particulièrement?
Celui du site de LG près de la gare de Zoug, l’ancien siège de Landis+Gyr AG. Avec la ville de Zoug et quatre autres propriétaires fonciers, nous concevons à nouveau une partie du site. Dans le cadre d’un concept général urbain, nous voulons y créer dans quelques années des surfaces de bureaux et de services ainsi que des appartements. Alfred Müller AG pourra ainsi contribuer à créer un quartier attrayant pour habiter, travailler et vivre – un nouveau pôle d’attraction pour la population de la ville de Zoug.
Monsieur Bernath, où vivez-vous personnellement?
Dans un petit appartement situé en ville.